Rêve ancien ou presque
L'essentiel est de ne rencontrer
personne, afin que tous pourparlers connaissent l'échec, et que la
partie de chasse se prolonge des semaines et des semaines. Alors
qu'il y a tant d'humains à tuer, pour ceux qui le cherchent
vraiment, il faut être vicieux pour s'acharner sur des bêtes,
franchement. Parfois je me promène en ville sous escorte, en
compagnie d'Alain Juppé qui porte de grosses bottes. Nous avons
failli glisser dans un trou anti-char. S'il ne m'avait pas
involontairement écrasé le pied, nous y roulions tout les deux, il
riait d'une oreille à l'autre et je sautillais en clopinant d'un air
lamentable. On s'amuse comme on peut. Le 52 septembre enfin, les
diplomates conviennent d'un dîner. Muqdisho est un champ de ruines,
mais on déniche, en cherchant bien, toujours une de ces demeures
coloniales épargnées. Ces réunions bouffatoires déclenchent
toujours chez moi d'irrépressibles impulsions diurétiques, et je
m'éclipse, sous-fifre inaperçu, vers des cabanes de chantier (car
on construit beaucoup entre deux précipitations d'obus). Toujours un
chien me suit, roux, le poil rêche, la frange sur les yeux. Il
secoue sa tête sableuse et marque son territoire.
Là-dedans, sous le plastique
surchauffé, la puanteur est suffocante. Mais si le chien veut me
regarder sous le nez, je lui repousse la porte sur le pied, à mon
tour d'en écraser un, la bête gueule, un coup de feu claque. Quand
je reviens à l'intérieur, la situation s'éternise, mais cette
fois-ci, j'ai dû manquer un épisode : Juppé se trouve coincé
dans une chaise d'enfant, resté seul avec trois serveurs, qui n'ont
rien fait pour mettre obstacle à cette profanation diplomatique ?
« Où étiez-vous donc, mon cher C ? Je n'ose cette
fois révéler mon escapade, et le lasse discourir du haut de sa
tribunette. La table est désertée. Monsieur discourt. Je m'enfuis
sous les tirs sporadiques, longeant de longs murs blancs que personne
ne vise mais où éclatent souvent des munitions perdues.
Des populations terrées
délèguent vers moi leurs spécimens les plus boiteux, les plus
blessés, qui m'interpellent du seuil de leurs bouges : la
caritá,
zakada, zakada ! J'offre mon chien, ils le chassent à coups
de béquilles. Si je conduisais la moindre jeep, ils me supplieraient
de les évacuer. La négociation a échoué, les Français se sont
retirés avec les tableaux qu'ils ont eu bien du mal à leur offrir.
Je suis survolé dans ma retraite par un Concorde, immense et
d'aluminium noir, où se rapatrie la délégation française ;
on n'a pas lésiné sur les moyens. Mais aucun bruit de moteur, même
en tenant compte du décalage auditif. Se déclenche alors un
scénario récent : l'immense avion sinistre et trop bas plane
de droite, de gauche, au-dessus d'un village, dégage une forte
fumée,
l'avion émet des cris suraigus
des deux sexes et l'appareil s'écrase en brûlant. Les passagers
cuisent lentement et je hurle JE NE VEUX PAS JE NE VEUX PAS
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