Guéret lyrique
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02 05
Le 2, il fait froid. Je vais d'abord à
l'office du Tourisme, pour avoir un plan. C'est une gouine hommasse
charnue qui me tend le document. Et voici les rues. Un clodo, ou
« SDF », devant la poste. Je devrais lui donner ma
chapka. Ce sera deux euros quarante, et un toucher de main. Le voilà
tout réjoui. Avant lui, égaré vers la rue des Amoureux, je m'étais
renseigné près d'une puissante et gélatineuse mémé, toute
contente d'avoir une contact humain. C'est fou, ce que je suis
indispensable. Les autres aussi, car je tournais le dos à mon but.
Tout cela s'emmêle. Et puis l'église, où je vois une pauvre
vierge chlorotique prolongée renouveler de vieilles fleurs dans de
vieux vases.
Et qui au bout du fil ? non pas Dieu mais
Didier, à qui je me lie par le mercredi de Cendres. Il a écouté ma
dernière émission, a constaté qu'il n'y figurait pas : je
n'avais emporté qu'un étui vide… Nous parlons de Dieu, il
m'indique soudain que la conversation est désormais assez longue.
Aussi bien lui ai-je montré le caractère léger de nos faux
attachements. Il invoque une fuite psychiatrique… Je redescends
vers mon Première Classe, sous la pluie froidouillette. À présent
c'est Giulia qui me contacte sur un banc des galeries Leclerc. Elle
aime les longues conversations téléphoniques, et c'est la rentrée
dans ma petite bulle sous les eaux. Le soir je regarde peu la
télévision.
Ne pas oublier l'assertion orgueilleuse de Du
Bellay : chacun ou presque possède un don de nature ; mais
ce n'est qu'à force de travail que l'on s'envole au ciel de la
célébrité. Autrement, dit Joachim, ce serait injustice, merde
alors. Disons que nous avons voulu vivre, aussi, car dans l'autre
monde il n'est ni glorieux, ni obscurs. Des bribes de villes qui se
ressemblent toutes, flottent dans la mémoire, fragments
insignifiants que je parviens toujours à resituer. Renseignements
donnés par la Réunionnaise, victime de la Grande Déportation
d'Assimilation Profonde (enfants introduits dans le cul de la
France), clients de supermarchés, Leclerc : Providence !
Providence ! En croquant à même une providentielle carotte
tombée à terre.
Arielle chez soi, à trois départements de
distance, reçoit Eugène Bourdin, comédien homo, qui pose à poil
sans problème ni bander. Le trois, je travaille sur Servius, qui est
un vrai supplice : le volume est énorme, d'un rouge violet
ignoble, après l'incendie des stocks de Budé. Commentaire de
commentaires, eux-mêmes d'un creux dingue. Ce jour-là il fait beau,
je vais à Guéret à pied. Jour de chats possibles, enfin.
date :
début février 2063
N'est-il pas extraordinaire, etc. Je n'avais
pas grand-chose à dire. Devant l'autobus une pièce a roulé. « Il
serait absurde de perdre la vie pour cinquante centimes ». Le
conducteur sourit. Les voyages que je fais n'ont aucune importance.
Il est déjà question de Marseille, de Digne. Ces jours-ci, c'est
Guéret. Moins couru, certes. Une vaste mélasse, de flotte, de
distances parcourues à pied, d'hôtel confortable mais spartiate :
tu viens, tu payes, tu repars. Très pratique pour les adultères. A
Guéret c'est la seule distraction. Je suis victime d'adultère
imaginaire. Ici je trompe ma femme avec des vidéos pornographiques.
Bonjour LECTEUR. Déjà Guéret n'est rien. Il est soluble sous la
pluie.
Il est contenu sous une chapka qui me couvre la
tête, avec des oreillettes flottantes qui attirent les regards des
automobilistes, surtout si je hurle. Il est dans ce supermarché
Leclerc, qui a vidé le cente-ville de toute sa substance. Même, je
trouve là-bas, comme à La Ciotat, comme partout ailleurs, un centre
culturel où j'achète un calendrier dédié aux écureuils. Ce sera
pour Maphâme. Il faut que je me foute de mes propres expressions,
pour ne pas être pris pour un type qui se prend au sérieux. Le
trajet aller se fait en train jusqu'à Limoges, et ma voisine se fait
gauler pour voyajer sans ticket, de Bordeaux à Libourne. Sa carte
bleue n'admet plus de retrait. Le contrôleur l'avait touchée du
bout de son antenne, elle croyait que c'était moi : quelle
mauvaise surprise ! Elle a jeté avec rage ses papiers dans son
sac, et devra payer une amende. Lecteur, es-tu là ? Est-ce que
tu comprends ?
Me consoleras-tu dans ma tombe ? Serai-je
enterré à l'endroit, les pieds tournés vers l'allée ? Où
seront mes livres ? Serai-je en compagnie de celui que je
n'aurais pas fini, juste à ce moment-là ? Puis à Limoges, un
autocar pour Montluçon. Avec toilettes internes, utilisables juste à
l'arrêt. On ne peut que s'y assoir, sauf à pisser very cambré. On
s'en fout partout. Une présentatrice de JT est lesbienne :
c'est insupportable. Qui suis-je, dans ce cas ? De l'autocar je
vois le fronton jaune de l'Hôtel Première Classe : en comptant
dans l'autre sens ; le plus simple, le plus économique, celui
qui fait parcourir le plus de chemin avec la valise à roulettes :
crr, crr. Et la rue descend, descend. Autant à remonter en sens
inverse.
Comprends-tu que ce qui m'arrive arrive à tout
le monde ? Que des lectrices dédaigneuses estiment banales ces
productions « de réflexions que n'importe qui peut faire » ?
Que mon meilleur ennemi s'est retrouvé, en fin de carrière, au même
point que moi, toujours au début, sans même avoir fait une
excursion en boucle dans l'univers des Gagnants ? Alors voilà :
je suis parvenu à payer me chambre, à obtenir une carte,
auunetomatiquement, puis en passant la carte magnétique devant une
porte, qui s'est ouverte comme une glissière de caverne ? Oh !
fait le Vieux Monsieur Mon Père, « jamais je n'ai vu un feu
d'artifice aussi magnifique » ! Mais il n'y a personne
d'autre, dans mes voyages, combien de fois faudra-t-il vous le
répéter ?
Croyez-vous que ce me soit un enrichissement
d'entendre un Cap-Voui, erdien me confier sa misère matérielle et
la précarité de son emploi ? Comment peut-on prétendre
substituer aux magies du voyage de telles consternantes banalités ?
C'est donc niais, de répéter que le voyage permet de ne rien faire,
de rien, de rien, de rien. Que même après s'être reposé toute une
demi-journée sur les fauteuils confortables et roulants, le premier
rite est malgré tout de prolonger par un autre repos allongé, dans
la pénombre ? « Il pleut. Je vais au magasin Leclerc » :
c'est donc une honte de le dire ? Oui, oui, le monde coule, mais
nous manquons de données sur la vie matérielle des gens : le
nucléaire a tout rasé. Ermé,
La chambre comporte trois lits de camp, dont
deux superposés : « Il est interdit de faire monter un
enfant de moins de 6 ans ». J'occupe le lit inférieur, car
l'angle de la télévision est satisfaisant. Fermé, mais
satisfaisant. Tes griffes sont sur mes épaules. Jamais je ne me
ferai à cette fauconneri, à cette volerie. A
la caisse, l'hôtesse m'appelle « mon petit monsieur »,
me dit que « mon saucisson sent bon », que la carte bleue
doit être « mise dans le trou », et j'en passe. Puis
elle se tait, « pour qui va-t-il me prendre » ? Dans
une autre vie, la vie où j'aurai envie, je lui refilerai mon 06
(note en bas de page ? pas encore l'époque ?). Puis il
faudra « trouver le trou », faire de la gymnastique, ne
jamais savoir ce qu'elle pense, éviter de faire des promesses,
Maphâme connaît mon numéro par coeur. Elle est toujours joyeuse au
téléphone, mais vous le savez. Le
soir, je vais la tromper avec le film« Camping », dont on
multiplie les suites. C'est nul, nul à chier : on dirait Plus
belle la vie, en plus con si
possible (…en bas de page ? en bas de page?)
Le merveilleux est de ne pas se retenir de
s'allonger pour dormir, somnoler, un peu sur chaque côté façon
escalope, je vous ai déjà dit que je me fous des autres, qui ne
sont que mes imitations (c'est bien pour vous faire plaisir) , vous
me ferez cinquante lignes de moimoimoi, et vous oublierez de
considérer le sort des justiciables d'Amnesty International. Parce
que je m'en fous de ceux-là. Un jour je gésirai dans la geôle, nul
ne s'en souciera, et je penserai « C'est bien fait pour ma
gueule ». Un jour je perdrai tout mon sang sur l'asphalte,
attendant les secours, car un homme ne peut laisser un homme dans cet
état, et personne ne viendra.
Faites, faites
que je puisse recevoir sans avoir donné. Il a veillé (celui dont je
parle) jusqu'à plus de deux heures, grâca à la rediffusion d'un
documentaire sur les tatouages tahitiens : ils viennent tous, en
réalité, des Marquises. Il a fallu les réinterpréter, car les
missionnaires les ont interdits dès l'époque la plus reculée. A
présent cette coutume se modernise, se revivifie. Puis je sors
mais très peu. J'adore le petit-déjeuner, «abondant, simple et
varié ».
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