Vieux-Starov, pléonasme
Vieux-Starov
respire. Il a échappé au pire. Enfin Evguéni et Alfonsinka se sont
fait virer pr
non-paiement de loyers, au pluriel. Peu importe où ils ont atterri.
Les asiles sordides, ce n'est pas ce qui manque. Cette maison est
belle et grande. Il n'en connaît pas d'autre, il n'en sort plus. Pas
plus qu'il n'en faut pour en faire le tour, dans l'herbe bien coupée.
Il regrette que Myriam, décédée, ne soit plus à pour fouler avec
lui la verdure. Les deux sœurs infirmières ou aides-soignantes, les
fonctions ne sont pas très distinctes dans ces petits établissements
gérés à la bonne franquette, le laissent libre d'aller et de venir
à sa guise, sans dépasser la grille. Mais lui-mêe ne voit pas non
plus l'intérêt de la franchir.
Les
deux chambres des femmes restent soigneusement fermées. Elles en
sortent pour leur service, à deux pas, y rentrent la journée finie,
et se bouclent chacune chez soi, pour qu'il n'y ait pas de fantasme
d'inceste. Mais en l'occurrence, le petit vieux déménage. Il en est
même à errer, nocturnement, dans le long couloir frais, pieds nus
ou en pantoufles. Frôlements qu'elles observent sur leur mur mais
sans y faire allusion. Starov alors s'assied en tâtonnant dans le
profond fauteuil du salon, face aux cendres de l'âtre de Tassigny.
La raison et le calme lui reviennent peu à peu. Ses oreilles se
débouchent peu à peu, comme dans les montagnes, en descente. Il
passe une heure à écouter cet étrange phénomène de dégivrage.
Il
ne peut puls sauter les femmes. Encore moins deux en file, encore
moins des sœurs ; La dernière fois qu'il a baisé deux sœurs,
il a perdu les deux, parce qu'elles se l'étaient dit. De toute façon
il devenait fou, « au quartier des hommes ». Les limites
entre les « quartiers » restent floues, et ne sont
effectives que pendant la nuit. Ici, en demi-banlieue, on est à son
aise. On peut lire aux toilettes, des bribes de journaux fanés. Dès
qu'il fait jour, Starov fait le tour du vieux prunier, juste après
l'habillage du matin. Il souhaite pouvoir longtemps s'habiller tout
seul. Derrière la haie, tout au fond, les vieux Mazeyrolles sont
revenus : leur expulsion est jugée abusive. Mais ils sont à
présent cantonnés à la maison la plus ancienne, la plus basse et
la plus délabrée. Ils ne méritent pas mieux, leurs loyers ont été
réduits, ce n'est plus qu'un symbole, le département les défraye.
Le vieil Evguéni est encore plus perclus que lui. Sa voussure de dos
atteindra bientôt l'angle droit, il bougonne ou se tait
indistinctement. Madame Alfonsinka, grasse édentée, se parle comme
on gargouille, volubile comme une roue à aubes.
« Il
y a d'autres airs ». Starov reconnaît les pulsations musicale
à travers les écouteurs, d'étranges chuintements pourtant
interprétables, lancinants, lancinants. Il pensait que seules les
très jeunes filles se repassaient en boucles leurs chansons
favorites, leur accordant ainsi les dimensions, qu'elles ne peuvent
avoir, d'une véritable symphonie. Pendant le repas, c'est la
télévision. Communication, ou pas ? Télévision égale
déception. Au moins peut-il s'isoler dans les Informations, dont il
se contrefout comme tout le monde, absorbé par les profils jumeaux
de ses compagnes médicales à domicile. Elles s'offrent à son
regard, indifférentes et fixes, avec sur les pommettes les mêmes
lueurs lactées, y compris
à treize heures.
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