Des Quatorze Juillet
Le
13 Juillet 1948, mon père, emprisonné pour intelligence, me jucha
sur ses épaules muni d'un véritable candélabre fabriqué à partir
de manches à balai, où se bal ançaient une demi-douzaine de
lampions côtelés : c'était le plus grand, le plus haut
luminaire de la marche aux flambeaux. Dans mes mains de trois ans, je
portais à bout de bras la lumière de la France. La dernière fois,
en 57, je fus le porte-drapeau, le plus grand de l'école ayant
quitté l'école pour cause de Cinquième. Sur la photo, je fais une
gueule pas possible. Je suis ridicule en effet. Ridicule de faire la
gueule. Hier soir,de retour du Restaurant Chinois (La Baie du
Dragon), j'entendais depuis mon bureau les explosions et sifflements
du feu d'artifice.
Rituellement
sorti dans le couloir du jardin, je n'entrevis que les vagues lueurs
célestes de chaque fois, au-delà,des arbres. Je suis revenu à mon
travail, ou à mon devoir de communiquer : Facebook sans doute,
ou quelque approche humaine de ce genre. Sur l'écran la populace est
purifiée : sans odeur ni reniflements ni gosses qui gueulent.
Tout seul avec ma compagnie de cristaux liquides, alors que l'écran
est solide. Car les articles permettent de répondre aux questions
techniques, mais pas aux plus simples en quoi est fabriquée cette
chose qui s'illumine et contre laquelle mon ongle fait tac tac
tac ? Puis vers minuit,
Monsieur le Commissaire, malgré les sollicitations d'Arielle rivée
à celui de la télévision, je me suis doucement brossé les dents
pour couler dans mon livre : les premières pages de Jérusale,
une biographie par Montefiori,
cadeau de Julia.
Ma
nuit fut percée de clameurs étouffées et stridentes, notes
supérieures et féminines du « Trouvère » de Verdi.
C'étaient en effet les « Chorégies d'Orange »,
merveilleusement représentées
sous l'égide de Jacques Bompard, n'en déplaise aux Grands
Remplacistes. Le spectacle se tient en direct. L'opéra m'attire peu.
Les voix me semblent outrées, les intrigues rudimentaires, les
livrets sots. Lorsque je fus
rejoint par mon épouse que le spectacle avait surexcitée, qui
voulait pouvoir dormir jusqu'à neuf heures (il en était presque 3),
je répondis que j'aurais voulu, moi, dormir maintenant.
Peu
élégant pour un 51e
anniversaire de mariage. Nous n'avions fêté ni le premier (noces de
coton) ni le deuxième, ni aucun (ou presque) de ceux qui avaient
suivi. Le 20e
fut l'occasion d'une gigantesque engueulade avec la tante Raymonde
qui, soudain ressurgie de son passé cimetiéresque, entendait
régenter à rebours tout ce qui avait été nos vies, engueulant
Arielle de ne jamais participer à la cuisine alors qu'elle était en
plein épluchage. Nous nous sommes arrachés dans les éclats de voix.
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