Panama de confection
"
- Vous aurez vos Français" – cocoricouilles, car des femmes
seront importées, elles aussi... »
La
suite emprunte à tous les romans de confection, fortement documentés
à la Zola, avec des rebondissements, mélange des classes, filles au
grand cœur. Il sera
impossible de véritablement s'élever dans ce nouveau milieu
assoiffé d'aventures ou de bénéfices, car ceux que l'on envoie
là-bas, conformément aux usages dits coloniaux, se sont toujours
quelque peu brouillés avec la police et les lois : tout le
monde sait qui est qui, la nièce ayant raté de peu son oncle avant
de lui piquer son argent, l'indicateur qui faisait chanter les
députés surpris dans les bordels, et la chasse est tirée :
allez hop, tous ces tarés, en Louisiane, à Nouméa, ou Panamà.
Ensuite
bon vent, bons moustiques et bonne malaria. Nous avons oublié tout
cela. Le narrateur décrit les milieux très huppés, entachés de
corruptions au centre desquelles grouillent les malfrats et les
gogos, tandis que Ferdinand de Lesseps, lui, n'y est pour rien. Puis
le roman revient sur ses prostituées qui croient fortement à la vie
nouvelle et régénérée, vous pensez bien que les chances sont
inégales et pas socialistes du tout, que les uns se tireront
d'affaire, que de beaux mariages se réaliseront, Boudoul, rien que
de très foisonnant et de trop ordinaire, ce qui ravira les ménagères
de 50 à 70 ans (élargissement du public). Le réservoir des
situations et des personnages convenus, dont une chaste vierge
bourgeoise j'en jurerais, dont les escrocs et leurs comptes véreux,
dont les indigènes aussi mortels qu'interchangeables, se révèle
aussi inépuisable que la gamelle à popote en temps de grandes
manœuvres.
Ajoutez
à cela une documentation irréprochable sur l'affaire de Panama, la
vraie, dans les années 92-93 du siècle dix-neuvième. C'est ainsi
que des milliers de petit épargnants furent parfaitement ruinés. Et
nos expatriés des deux sexes, volontaires ou non, continuaient à se
débattre pour s'élever dans la hiérarchie sociale. Tout cela
satisfera les amateurs de sagas télévisées mais laissera de côté
les incompétents et les grincheux. Une telle avalanche de héros,
d'héroïnes, d'évènements, de spéculations, n'ont laissé dans
notre mémoire aucune trace digne d'être mentionnée. Il semble à
vrai dire qu'une seconde lecture elle-même ne ferait rien d'autre
que d'éveiller de vagues échos.
Ce
livre apporte à ceux qui voient dans la littérature une évasion.
Mais le fond n'est rien. Le romanesque n'est rien. Le documentaire,
la dimension historique ne sont rien. La confection est bonne,
excellent même, mais ce n'est que de la confection. Reprenons le
texte 26 pages plus tard. Les ex-putes dégagent plus d'humanité que
tous les autres. Le fond est inépuisable, mais la forme seule
retient l'attention ; ici, elle est honnête, et ce n'est pas
assez. La fraternité, la chaleur
communicative
de l'auteur n'y sont pas non plus. Me raconter des histoires, et de
belles histoires, ne me suffit plus. Ecoutons la saga de ces filles
du peuple :
« Elles
avaient résolu d'un commun accord de ne plus évoquer le cas de
Charles, l'acceptant comme on accepte un fardeau du ciel. Louise fut
la première à pénétrer dans le bâtiment de bois dans lequel
s'étiraient cinq files d'attente. Lise repéra le guichet réservé
aux vingt-quatre bateaux qui assuraient la liaison entre la France et
l'Amérique. Elle poussa sa jeune amie vers l'employé fatigué aux
doigts tachés d'encre qui délivrait les coupons de voyage et
encaissait les sous.
Louise
tenait la bourse ; Louise paya. » Précisons que Charles
est le maître chanteur qui comptait bien les rouler, mais qui les
accompagne à Panama bien malgré lui, emporté dans le tourbillon de
la chasse. Précisons que « dans le bâtiment de bois dans
lequel » est une inexcusable négligence répétitive, alors
qu'il suffisait de dire « bâtiment de bois où. Louise
est la plus paysanne. Lise a plus ou moins estourbi son oncle
tentativeur de viol. Et reprenons. La scène se passe à Marseille :
« Moins
d'une demi-heure plus tard, les trois femmes étaient en possession
de leurs billets de troisième classe pour une traversée qui les
conduirait à Cartagena, en Colombie, et d'une documentation
concernant le navire sur lequel elles embarqueraient dans un mois :
le Gironde.
« Elles
n'eurent pas la patience de gagner la chaleur d'un café. Il y avait
des sièges de fortune éparpillés un peu partout sur les quais.
Elles s'assirent sur une caisse de cordages, se serrant les unes
contre les autres, bien plus angoissées qu'auparavant. Elles avaient
leurs billets rangés dans une enveloppe brune marquée au nom des
« Messageries ». »
Nous
devrions nous y sentir, n'était ce fâcheux passé simple si daté.
Le texte eût-il été rédigé en 1900, avec l'arrière-plan
historique authentique de l'époque, nous eussions marché. Ces
pauvres femmes cernées par le grand port nous semblent bien
fragiles, surtout futures
cornaquées par un semi-maquereau
indicateur. « Elles voulurent les regarder en détail. Ils
ressemblaient à des bons de commande de mercière, roses, avec des
colonnes et des cases pour cocher des croix. En haut des coupons,
leurs noms écrits à l'encre violette se déroulaient en courbes
gothiques sur des pointillés. Leurs dates de naissance, leurs
adresses tout en volutes soutenaient les patronymes.
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