Quijano de Colombie
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Elle m'a mis en garde : “Ne me fais pas ce coup-là”, en parlant de mon suicide.
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Claudia
Mejía-Quijano s'inspire du Freud le plus pur pour expliquer la
répugnance de Saussure à finir ses ouvrages, voire à les publier :
grossesses incessamment prolongées, accouchements sans cesse
différés. La maman de Saussure souffrait de troubles
psychiatriques. Notre linguiste souffrait de perfectionnisme,
craignant de mettre au jour des ouvrages monstrueux, craignant
lui-même, en refaisant, en transmettant le geste de sa mère, de
devenir fou comme elle, ou de transmettre une folie prétendument
héréditaire. L'explication, du côté de la paternité, a dépassé
mon niveau de compréhension, car aux premières douleurs, je me
réfugie dans le déni de compréhension : feindre de ne pas
comprendre, plutôt que de souffrir.
Que
veut le lecteur ? Ingurgiter ? Recevoir sans cesse le sperme du père,
alors qu'on est un tonneau des Danaïdes ? Et, tant qu'on n'a pas
tout bien reçu et absorbé, ne jamais pouvoir enfin se former
soi-même, se constituer soi-même ? En vérité, le langage n'est
bien qu'un substitut (n'allons pas jusqu'à l'Ersatz) de la réalité
à jamais manquante. Cependant Quijano, sans se troubler, poursuit
ses références et citations. La voici dans le Fort
und Da, en
plein récit de Freud : le petit garçon dit “ooooo”, puis
“aaaa”, et seule sa mère interprète cela comme “fort”, “au
loin”, et “da”, ici. Notons que la mère et “l'observateur”
(le père ?) s'accordent sur la signification de ces deux simples
voyelles émises par l'enfant. Un
autre épisode également raconté par Freud a donné le nom de “jeu
de la bobine” à l'opération mentale d'Ernst : l'enfant jette loin
de lui une bobine : – j'ignorais
cette reduplication du comportement – l'enfant
jette loin de lui une bobine en prononçant “o-o-o-o”,et il la
ramène grâce au fil avec un joyeux “da” - il
sait donc mieux articuler, ce petit con.
L'autrice
n'avertissait-elle pas le lecteur que ses digressions pouvaient se
discuter ? Elle cite sa source avec un peu trop de longueur. Tant
elle est dans son sujet : monter en neige les moindres mystères de
son héros, qui, sous son scalpel, redevient un quidam. Par moments.
Un
autre jour, l'enfant “avait trouvé un moyen de se faire
disparaître lui-même. Il avait découvert son mage dans le miroir”
- lui
aussi pouvait, comme ses papa-maman, s'effacer puis revenir ! il
avait apprivoisé la peur de l'abandon ! - “qui
n'atteignait pas tout à fait le sol et s'était accroupi de sorte
que l'iage de soi dans le miroir fut “partie”. Intéressante
évolution ! Encore nous épargne-t-on la grossière symbolique de
l'accroupissement, qui permet en quelque sorte de “se chier de
soi-même”.
Bref
! Freud
remarque dans ce texte le travail d'abstraction que tout enfant
réalise dans les jeux
de cache-cache qui font leur joie à cette époque où,
parallèlement, ils commencent à s'ouvrir au langage, et
nous entrevoyons la fin de l'immense looping ou retombage sur pattes
de l'autrice, qui s'accroche à son roten
Faden : il
ne faut pas qu'elle perde de vue qu'il s'agit de paralléliser
l'étude du fonctionnemment du moi, et l'étude du langage : Ur-Ich
und Ursprache. Donc,
quindi,
“ou encore, lorsque, plus tard, ils commencent à maîtriser le
“système” linguistique en réalisant des créations analogiques
de plus en plus élaborées. Parler
serait donc une reproduction des parents, mais aussi une indépendance
gagnée sur les parents.
Et
nous rejoindrions le problème de la génération, de la production,
de la différenciation dans la ressemblance, de la distinction dans
le prolongement. Bien vu. C'est
une absence dosée, dynamique [permettant]
à
l'enfant d'inventer le cache-cache de l'être où la disparition
n'est pas du tout réelle, mais une simple affaire
du regard du spectateur. Ainsi
échappe-t-on à l'absolu de la mort ou de l'existence pour le
réduire à du personnel tout à fait relatif. L'enfant existe, mais
indépendamment du regard de l'autre, dont il peut se passer quand il
veut. Ce n'est plus le papa-maman de chacun qui nous crée, mais nous
existons de façon autonome, du moins par rapport à nos géniteurs.
L'absence
créatrice, celle qui ne précipite pas l'enfant dans
l'anéantissement, est une “présence cachée” au regard de
l'enfant – pardon,
de l'adulte, non ? - oui, mais, par analogie, de l'enfant lui aussi :
la
chose qui n'est pas là peut quand même exister dans sa place, car
elle peut en occuper une autre qu'on
ne voit pas.
L'absolu
de la peur, de l'absence, de la mort du parent, de la mort de
l'enfant, cède le pas au relatif non seulement rationnel mais aussi
spatial (notion ici devenue supplémentaire). La
menace de mort et l'effroi qu'elle comporte – et
si Dieu-Parent détournait son regard de moi ? - sont
ainsi dilués dans la présence d'une telle “fausse absence”. Et
qu'il doit être doux et gratifiant de dire tout cela devant des
étudiants..
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