Volland et Van Loo

Mme Van Loo et Mme Berger sont certainement très-sensibles à votre souvenir. Nous n'en doutons point. Nous savons que les van Lôô étaient une dynastie de peintre, que l'un d'entre eux peignit amicalement ce portrait de Diderot figurant en bonne page sur les Lagarde et Michard d'avant la Décadence; Il ne s'y trouva pas aussi naturel que sur un autre portrait, fait par un autre. Mme Berger ? Qui est cela ? Combien n'y a-t-il pas de Mme Berger par le monde ? Diderot devait être chiant : que sont devenus ses restes ? Nous voici à l'automne 67, lui restent encore 17 ans à vivre. S'il se trouve, moins qu'à moi. N’auriez-vous rien à faire dire à Mlle Vernet ? j’aime beaucoup les commissions pour elle. J’indiquerai votre Esculape, qui ne sera pas fort habile s’il ne s’y entend pas mieux que Lamotte. Denis ou Dennis cherche-t-il ici à rendre sa Volland jalouse ?
 Écrivons-le tout à trac : ne lui a-t-il pas affirmé qu'il l 'aimait plus que tout au monde ? même allongé auprès de la plus belle fille nue ? C'était l'épreuve de Robert d'Arbrissel : entre deux religieuses. Ses contemporains doutaient que ce fût bien efficace. Mais parler n'est pas jouer. En ce temps-là, combien passe par la parole : on ne cesse de s'entretenir, comme à 18 ans, de politique et de religion, ou de philosophie, en se promenant, au dîner, après dîner, on ne fait rien, mais on parle. On se recommande les médecins, dont le dieu s'appelle Esculape. Il s'agit de remplacer le docteur Lamotte. Diderot utilise deux négations. C'est du beau style reliquat de la manière médiévale. Oh ! pour le prince Galitzin, point de miséricorde : chacun a sa bête, et les jaloux sont la mienne. Il rompt des bâtons.
Il nous a récemment parlé de ce personnage du Gotha qui se lamentait comiquement d'avoir laissé sa bien-aimé en compagnie de voyage d'un autre homme. Diderot n'est pas jaloux, se déclare contre la mariage et même la fidélité, qu'il juge le plus absurde des serments : par les vœux du monacat, l'on fait voeu d'enfermer son corps entier dans une grande cellule, tandis que le mariage vous astreint à celui de renfermer une toute partie de vous dans une autre partie de l'autre. Mais ne serait-il pas désappointé d'être cocu ? et sa fille ne fut-elle pas bien et dûment mariée en état de virginité ? Trêve de taquineries convenues. Je suis bien fâché que la belle dame ne vous ait point écrit : vous en auriez reçu une jolie lettre. Mais je vois ce que c’est ; vous lui avez fait peur. Cela nous apprendra à fourrer le nez dans une correspondance privée.
Nous ignorons si Diderot écrivait pour être lu de plusieurs à la ronde. Cela se pratiquait fort, puisque fort il y a, au siècle précédent. Mais il semble que le XVIIIe accorde plus d'importance à la vie privée. Donc, nous sommes loin de tout saisir aux allusions sur la belle dame. Il nous tarde en effet de parcourir quelques petites choses sur ce paquet de Lettres, afin de savoir ce qu'il faut en penser, au-delà des louanges attendues : fraîcheur, vivacité, sens aigu du social... Voilà ce que c'est de n'être pas fini, d'avoir voulu indéfiniment ses 18 ans. Diderot les avait encore. Mais il organisait toute l'Encyclopédie, avec les deux âges : 18 et 54, à la fois.
Apprenons d'ailleurs que son fameux portrait à la plume d'oie fut peint par Van Loo en 1767, date de la présente lettre. Si je retournerai à Sainte-Périne ! je le crois bien. Vous en voulez trop savoir, et vous ne répondez point aux questions qu’on vous fait. Il faut aller à sa fille ou rester à son amant. Voilà le point. Lequel des deux feriez-vous ? C'est dans de tels contextes que des notes en bas de page seraient infiniment utiles : nous les avons raillées, elles se révèlent indispensables. Nous ignorons ce lieu : le carottage que nous effectuons sans cesse nous laisse peu de mémoire des épisodes passés. La correspondance est donc un jeu de questions-réponses.
Il faut jouer le jeu, et si l'on demande des réponses, il faut satisfaire soi-même aux questions que l'on vous fait. Attrape. Sophie n'a évidemment ni fille ni amant (les masturbations avec sa soeur lui suffisent amplement). Il ne s'agit que d'un proverbe. On surveille la fille ou l'amant. Au besoin, on le lui chipe, cet amant. Si on est femme. Ou homme, pourquoi pas. Mais suivre ou faire suivre l'un n'empêche pas de retrouver l'autre. A ce moment, il ezst trop tard. C'est là une petite espièglerie de ce temps où l'on pouvait user de finesse. Le prince ira-t-il, n’ira-t-il point au-devant d’elle ? c’est ce que j’ignore ; c’est ce qu’il ignore lui-même. Il attend d’un jour à l’autre des dépêches qui doivent disposer de lui. Détricotons.
Le prince est allemand, jaloux, ou russe. Sa belle dame, si c'est la même, revient d'une mission ou d'un voyage, en galante compagnie. Le galant l'a-t-il baisée ? Si le prince étranger vient au-devant de sa belle (à Sainte-Périne ?), elle saura qu'elle lui a manqué et pourra lui tenir la dragée haute. S'il l'attend sans bouger vers elle, son amante s'inquiétera, se doutera qu'il se doute, ou qu'il éprouve de la jalousie. Mais comme il est ambassadeur, il doit se tenir à disposition de son souverain ou de sa souveraine. J'explique et ne romps point.

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